mardi 8 octobre 2019

Les luttes inclusives, un enfer pavé de bonnes intentions aka réflexion sur les luttes pour l'accès des personnes trans à la parentalité


[Que ce soit clair, je soutiens évidemment les revendications des couples de femmes et des femmes célibataires quant à l’accès à la parentalité, et à leur droit de fonder une famille sans père, alors merci de ne pas essayer de me faire dire le contraire ou d’essayer de me faire passer pour un mascu.
Mon problème concerne la place des hommes trans dans les revendications autour de la PMAi, qu’ils aient ou non pour projet de porter eux-même l’enfant.
Tout commentaire remettant en question le fait que des hommes trans puissent vouloir porter un enfant ne sera évidemment pas publié.]


Les luttes inclusives, un enfer pavé de bonnes intentions


On vous tolère, mais cette lutte nous appartient, donc vos gueules


Le principe d’inclusivité est bien pourave. Il consiste à se donner bonne conscience en « incluant » une minorité, qui en fait à tout autant que toi sa place dans une lutte ou un espace, mais en pré-supposant que la lutte ou l’espace t’appartient, et que finalement, c’est et ça restera chez toi, et que la minorité que tu « inclues » sera toujours l’invitée, que tu as placée là du haut de ton infinie bienveillance. Évidemment, le jeu consiste à ce que ce soit toi qui fixes les règles, et que tu décides de ce qui est entendable ou légitime comme revendication, et de la place que tu laisses à cette minorité. Généralement, t’es tellement sympa que t’as déjà pensé à tout avec tes potes, notamment aux revendications et aux modalités de lutte que la minorité invitée devra respecter, parce que quand même, déjà, c’est chez toi, et puis surtout, qui sont ces gens pour déjà avoir réfléchi à leur organisation et à leurs luttes ? Par ailleurs, tu peux tout à fait décider d’inclure des gens sans leur accord, une fois que tu auras décrété que ta lutte était « meuf, gouine, trans », « LGBT », du « féminisme inclusif » ou que sais-je, tu peux rester dans ton entre-soi sans consulter les personnes que tu as inclues, en effet, l’important c’est l’étiquette, pas le contenu.

L’astuce, si la minorité que tu inclues finit par dire que quand même, ce que tu fais est transphobe, raciste ou que sais-je, c’est de la traiter, non pas de cisphobe ou de raciste anti-blanc, parce que tout de même, on est entre gens déconstruits, et on sait bien que ça ne passera pas. Non, le plus simple c’est de crier à l’oppression ; que tu fasses partie ou non de la minorité que tu accuses ce groupe d’oppresser n’a pas d’importance, hein, l’important c’est d’utiliser les bons mots, voire ça peut très bien fonctionner d’utiliser une minorité dont tu ne fais pas partie pour justifier tes comportements foireux envers une autre minorité dont tu ne fais pas partie non plus, au bout d’un moment ça prend, et tu peux regarder de loin l’incendie que tu as allumé. 

Par exemple, si des mecs trans te disent : « ben en fait merci de nous inclure dans votre lutte, mais votre slogan est transphobe et nous dénie le statut de père, donc au pire ne nous incluez pas, on va se démerder », d’abord, feins de ne pas comprendre de quoi il s’agit, et insiste sur ta bienveillance. Éventuellement, fais comme si tu n'avais pas compris le problème et dis des choses comme : "Aha, transphobes, vous êtes contre l'idée que des hommes trans puissent porter un enfant !". Si les mecs trans pas d’accord ne sont toujours pas d’accord, ne se plient pas à ton avis, et ne disent pas « ha oui pardon, c’est pas grave qu’il y ai plus ou moins écrit : ‘les hommes trans ne sont pas des hommes’ sur votre banderole, et que en gros vous disiez la même chose que Ardissonii, merci d’avoir parlé de nous, c’est gentil », ben là c’est pas grave, utilise un mec trans que tu connais, même si tu ne lui en as pas parlé hein, c’est ton pote, il sert à ça, pour expliquer que t’as parlé avec machin et que lui ça lui pose pas de problème. Parler à des associations trans ? Pour quoi faire, t’as un ou deux potes sous la main qui peuvent te servir de caution, ça t’épargne une réflexion sur qui tu « inclues », pourquoi, sous quelles modalités, et sur si par hasard quelqu’un avait déjà réfléchi à la question en dehors de ton groupe de cis déconstruit-e-s ? Maintenant que tu as montré que tu étais quelqu’un de bien parce que toutes les personnes trans ne sont pas en désaccord avec toi, tu peux y aller et commencer à dire que de toute façon, les hommes trans pas d’accord font du « not all men » et sont des masculinistes. Ça fonctionnera parfaitement, pas d’inquiétude. Si y en a encore qui osent l’ouvrir, là l’astuce qui marche à tous les coups c’est de commencer à utiliser les femmes trans, même si tu n’en as jamais parlé avant dans quoi que ce soit, qu'il y en a entre 0 et 1 dans ton collectif, et qu'en vrai, ton collectif et toi avez complètement zappé les femmes trans de votre communiqué, et à accuser les hommes trans de transmsogynie.

SURTOUT, pense bien que si tu es un peu une star et/ou que tu utilises les bons mots, la majorité des gens n’écouteront pas ce que disent les gens pas d’accord et considéreront que tu as de toute façon raison, même si ce que tu racontes est complètement dénué de sens voire que tu te comportes en parfait-e transphobe !


Cas pratique : comment inclure et exclure dans le même temps les hommes trans des débats sur la PMA en faisant passer pour des mascus ceux qui disent que tes procédés sont transphobes


Certaines associations ou collectifs féministes ou LGBT avaient pris le parti de revendiquer une « PMA pour toutes », d’autres une « PMA pour tou-te-s ». Le nombre de ces groupes ayant travaillé et réfléchi en collaboration avec des associations trans est proche de zéro (non, avoir échangé avec une association qui t'a dit que c'était bien gentil de penser à les contacter la veille de la manif ne compte pas, désolé).

Mon avis là dessus, qui n’est évidemment pas partagé par toutes les personnes trans, et qui n’engage que moi, est que les deux options étaient foireuses, et que rien n’était possible sans un réel travail de fond avec les associations trans de terrain, et une prise en compte de toutes les revendications autour de l’accès et de la conservation de la parentalité chez les personnes trans, et non juste de l’accès à la PMA pour les hommes trans qui souhaitent porter un enfant. Évidemment, cette revendication précise, qui est celle qui a été (toutes proportions gardées, c’est à dire surtout sur les réseaux sociaux militants, donc en cercle fermé, et vaguement dans quelques tracts et communiqués à destination de l’extérieur) la plus mise en avant parmi les revendications autour des parentalités trans, est une revendication tout à fait légitime. Le fait que la loi Justice du 21ème siècle (2016) ait (théoriquement) supprimé l’obligation de stérilisation physique pour accéder à un changement de la mention de sexe à l’état civil, pour la remplacer lors de la loi sur la PMA, par une stérilisation sociale (si t’as changé d’état civil, tu ne pourras plus te servir de ton utérus) est aberrant et transphobe. Cela n’empêche pas que les revendications autour de la parentalité trans ne peuvent pas se réduire au remplacement de « toutes » par « tou-te-s » dans un slogan ou un titre de tract, ni par une vague ligne sur la possibilité pour les hommes trans de porter un enfant. Pour résumer, les personnes trans ne sont pas des personnes cis, et les revendications autour de leur accès à la parentalité s’inscrit dans un contexte de fortes difficultés d’accès aux soins, que ce soient ceux liés à une transition ou aux soins primaires, et de fortes discriminations sociales de manière plus générale. Il n’est donc pas pertinent du tout de simplement ajouter « et les hommes trans » à un endroit ou deux pour rendre « inclusif » un tract sur la PMA (aussi parce que les hommes trans ne sont pas des femmes cis).




Ci-dessus, deux exemples de banderoles croisées ces derniers mois et semaines et qui m’ont fait hurler tellement je les trouve absurdes (enfin transphobes, hein). NON, on ne peut pas « inclure » les hommes trans dans « pour tou-te-s » pour, deux mots après, revendiquer une PMA « sans père ». EVIDEMMENT que les femmes seules et les couples de femmes peuvent revendiquer une PMA sans père, dans une société sexiste et lesbophobes où la Manif pour tous prend une place terrible et crache de la merde sur l’importance pour les enfants d’avoir un papa et une maman. Mais bon dieu, est-ce que c’est une raison pour faire des choses aussi stupides que d’inclure les hommes trans pour leur cracher à la gueule deux mots plus tard en leur enlevant leur statut de père ? Vous croyez que la Manif pour tous, les médias et la société en général ne s’en charge pas déjà assez ? Et NON, ce n’est pas clair que ce sont deux revendications différentes puisqu’il s’agit du même slogan sur la même banderole, personne ne va comprendre ça comme ça en dehors de vos petits cercles déconstruits (tellement déconstruits que vous avez déconstruit au passage notre statut de père, wouhou, trop subversif !), et vous participez juste à la transphobie générale. On nous renvoie déjà bien assez à la gueule, que ce soit dans la société en général ou dans les espaces militants, qu’on n’est pas vraiment des hommes, et vous ne pouvez pas décider de votre propre chef, de parler pour les hommes trans parce que l’inclusion des mecs trans dans le féminisme c’est dans l’ère du temps, et que comme de toute façon y a peu de chances pour qu’on ose l’ouvrir de peur de se faire qualifier de mascus si on dit que votre manière de procéder est transphobe, vous pouvez bien nous marcher sur la gueule comme vous voulez. Donc à un moment, un peu de cohérence, soit vous bossez AVEC nous, et vous construisez des luttes dans lesquelles vous êtes nos alliées et on est les vôtres, dans des luttes spécifiques qui se rejoignent sur certains points, soit vous parlez pour vous et vous nous lâchez la grappe, au lieu de vous accaparer nos luttes n’importe comment. Vous n’êtes pas nos mamans.

La parentalité trans ne s’arrête pas à la PMA, et une pseudo-inclusion dans les revendications des femmes cis n’est pas suffisante


Une autre chose que je trouve très gênante dans cette « inclusion » des hommes trans dans les revendications sur la PMA est l’invisibilisation de toutes les autres problématiques autour de la parentalité trans. Il y a toutes sortes de revendications qui méritent d’être traitées. Je vais lister ici quelques exemple, mais cette liste n’est évidemment pas exhaustives, je veux juste illustrer le fait que de se concentrer sur les hommes trans qui souhaitent porter un enfant n’est pas pertinent.
  • Les hommes trans en couple avec une femme cis qui souhaite porter l’enfant ont déjà accès à la PMA en France, si l’état civil de l’homme trans est au masculin. Néanmoins, contrairement aux couples hétéros où l’homme est cis, ces couples ne peuvent pas directement bénéficier d’un suivi par les CECOSiii de leur lieu d’habitation, mais sont d’abord envoyés au CECOS de Paris, qui collabore avec la SOFECTiv, et qui donnent un avis puis renvoient vers les CECOS de région. Le fait que les CECOS de région demandent préalablement l’avis de Paris pour faire entrer ces couples dans une démarche de PMA est évidemment transphobe (t’as beau avoir changé d’état civil, t’es toujours pas un mec cis hein…). La partie « Contrôle de la parentalité » de la page Wikipédia consacrée à la SOFECT indique :

"Les familles « transparentales » ont accès à la PMA (c’est effectif à l'hôpital Cochin depuis le milieu des années 1990) pourvu qu’il s’agisse d’un couple hétérosexuel du point de vue de l’état civil, c’est-à-dire constitué d’une femme cisgenre et d’un homme trans. L’homme a été nécessairement stérilisé avant le changement d’état civil, si celui-ci a eu lieu avant 2016. Aucune autre configuration n’est possible dans l’état actuel (en 2019) du droit.
Au sujet de l'accueil des personnes trans dans les CECOS, l’anthropologue Laurence Hérault a décrit la mise en place à l’Hôpital Cochin d'un protocole de soin particulier, confié à la SoFECT, qui discrimine les familles transparentales. Elle analyse que les réticences initiales des équipes qui ont mis en place et mettent en œuvre ce protocole renvoient « à la conception pathologisante des personnes trans » et « à la mise en doute de leur capacité à s’inscrire de manière adéquate dans la filiation et la parentalité ». D'après elle, la démarche et les équipes hospitalières sont les mêmes que pour le contrôle de l’accès à la chirurgie : il s’agit ici d’identifier les « vrais bons pères », qui sont aussi de « bons vrais transsexuels », et ainsi éviter la « diffusion de la « pathologie » paternelle ». Elle conclut que « l’intervention d’un psychiatre devient un élément clé de l’ensemble des projets de vie des personnes trans, qu’il s’agisse de réaliser une transition, de changer d’état civil ou bien encore de faire un enfant ».»"v
  • Sous certaines conditions, certains CECOS de région permettent aux femmes trans (et certains aux hommes trans, mais pas toujours) de conserver leurs gamètes. Par contre, aucune certitude sur le fait de pouvoir les récupérer et s’en servir ensuite avec leur compagne (avec compagnon si il s’agit d’un homme trans, n'en parlons même pas).
  • L’accès à l’adoption pour les personnes trans est compliqué, parce que sans CECvi la plupart des choses sont compliquées dans la vie, mais un CEC en France implique que sur ton acte de naissance intégral (nécessaire pour une adoption), ton prénom et ton genre de naissance apparaissent toujours, les modifications étant portées en marge. Bien évidemment, cela t'oblige à exposer ta transidentité, ce qui bien évidemment complique considérablement l'accès à l'adoption d'un enfant.
  • Les femmes trans qui ont un enfant (à l’aide de leurs propres gamètes) avec une femme cis, ne peuvent pas reconnaître l’enfant en tant que mère et doivent adopter l’enfant, alors même qu'elle sont une des mères biologiques.
  • Des personnes trans sont aussi parents avant d’entamer une transition. Dans ce cas, plusieurs types de difficultés peuvent se poser. Par exemple, avoir des enfants mineur-e-s peut être un frein à l’accès à une transition, par exemple au sein de la SOFECT, ou encore à l’accès à un CEC. En cas de séparation ou de divorce, la transidentité du parent trans peut être utilisée par l’ex-e conjoint-e pour obtenir la gardevii.


Rien sur nous sans nous


La conclusion de cet article est plutôt simple : si vous êtes cis, abstenez-vous de parler pour nous. Vous pouvez être des allié-e-s si vous collaborez avec nous, et nous laissez la place qui nous revient sur les sujets qui nous concernent. Sinon, ça s’appelle de l’ingérence et du paternalisme. N’essayez pas de nous « inclure » dans vos luttes, nos besoins et nos revendications sont spécifiques, nombreuses, et méritent bien plus que le simple ajout d’une astérisque au coin d’un tract.


Notes de fin de texte :

iPMA : Procréation Médicalement Assistée
iii« Qu’est-ce qu’un CECOS » sur le site « cecos.org » : https://www.cecos.org/node/4204
ivLa page « SOFECT » de Wikipedia explique plutôt bien la main-mise de la SOFECT sur l’accès aux transitions : https://fr.wikipedia.org/wiki/Soci%C3%A9t%C3%A9_fran%C3%A7aise_d%27%C3%A9tudes_et_de_prise_en_charge_de_la_transidentit%C3%A9
viCEC : Changement d’état civil. Chez les moldus, on entend par là une modification de l’état civil. Dans le langage trans, on distingue le CEC (modification de la mention de sexe à l’état civil) du changement de prénom (qui est aussi un changement de l’état civil, en vrai, mais dont la modification est souvent faite de façon distincte de la modification de la mention de sexe).
viiPar exemple : M. Le Corre (2015). Lorient : une femme trans se voit refuser la garde de son enfant en raison de son identité de genre, Yagg : http://yagg.com/2015/03/02/lorient-une-femme-trans-se-voit-refuser-la-garde-de-son-enfant-en-raison-de-son-identite-de-genre/