[Que ce soit clair,
je soutiens évidemment les revendications des couples de femmes et
des femmes célibataires quant à l’accès à la parentalité, et à
leur droit de fonder une famille sans père, alors merci de ne pas
essayer de me faire dire le contraire ou d’essayer de me faire
passer pour un mascu.
Mon problème
concerne la place des hommes trans dans les revendications autour de
la PMAi,
qu’ils aient ou non pour projet de porter eux-même l’enfant.
Tout commentaire remettant en question le fait que des hommes trans puissent vouloir porter un enfant ne sera évidemment pas publié.]
Les luttes inclusives, un enfer pavé de bonnes intentions
On vous tolère, mais cette lutte nous appartient, donc vos gueules
Le principe
d’inclusivité est bien pourave. Il consiste à se donner bonne
conscience en « incluant » une minorité, qui en fait à
tout autant que toi sa place dans une lutte ou un espace, mais en
pré-supposant que la lutte ou l’espace t’appartient, et que
finalement, c’est et ça restera chez toi, et que la minorité que
tu « inclues » sera toujours l’invitée, que tu as
placée là du haut de ton infinie bienveillance. Évidemment, le jeu
consiste à ce que ce soit toi qui fixes les règles, et que tu
décides de ce qui est entendable ou légitime comme revendication,
et de la place que tu laisses à cette minorité. Généralement,
t’es tellement sympa que t’as déjà pensé à tout avec tes
potes, notamment aux revendications et aux modalités de lutte que la
minorité invitée devra respecter, parce que quand même, déjà,
c’est chez toi, et puis surtout, qui sont ces gens pour déjà
avoir réfléchi à leur organisation et à leurs luttes ? Par
ailleurs, tu peux tout à fait décider d’inclure des gens sans
leur accord, une fois que tu auras décrété que ta lutte était
« meuf, gouine, trans », « LGBT », du
« féminisme inclusif » ou que sais-je, tu peux rester
dans ton entre-soi sans consulter les personnes que tu as inclues, en
effet, l’important c’est l’étiquette, pas le contenu.
L’astuce, si la
minorité que tu inclues finit par dire que quand même, ce que tu
fais est transphobe, raciste ou que sais-je, c’est de la traiter,
non pas de cisphobe ou de raciste anti-blanc, parce que tout de même,
on est entre gens déconstruits, et on sait bien que ça ne passera
pas. Non, le plus simple c’est de crier à l’oppression ;
que tu fasses partie ou non de la minorité que tu accuses ce groupe
d’oppresser n’a pas d’importance, hein, l’important c’est
d’utiliser les bons mots, voire ça peut très bien fonctionner
d’utiliser une minorité dont tu ne fais pas partie pour justifier
tes comportements foireux envers une autre minorité dont tu ne fais
pas partie non plus, au bout d’un moment ça prend, et tu peux
regarder de loin l’incendie que tu as allumé.
Par exemple, si des
mecs trans te disent : « ben en fait merci de nous inclure
dans votre lutte, mais votre slogan est transphobe et nous dénie le
statut de père, donc au pire ne nous incluez pas, on va se
démerder », d’abord, feins de ne pas comprendre de quoi il
s’agit, et insiste sur ta bienveillance. Éventuellement, fais comme si tu n'avais pas compris le problème et dis des choses comme : "Aha, transphobes, vous êtes contre l'idée que des hommes trans puissent porter un enfant !". Si les mecs trans pas
d’accord ne sont toujours pas d’accord, ne se plient pas à ton
avis, et ne disent pas « ha oui pardon, c’est pas grave qu’il
y ai plus ou moins écrit : ‘les hommes trans ne sont pas des
hommes’ sur votre banderole, et que en gros vous disiez la même
chose que Ardissonii,
merci d’avoir parlé de nous, c’est gentil », ben là c’est
pas grave, utilise un mec trans que tu connais, même si tu ne lui en
as pas parlé hein, c’est ton pote, il sert à ça, pour expliquer
que t’as parlé avec machin et que lui ça lui pose pas de
problème. Parler à des associations trans ? Pour quoi faire,
t’as un ou deux potes sous la main qui peuvent te servir de
caution, ça t’épargne une réflexion sur qui tu « inclues »,
pourquoi, sous quelles modalités, et sur si par hasard quelqu’un
avait déjà réfléchi à la question en dehors de ton groupe de cis
déconstruit-e-s ? Maintenant que tu as montré que tu étais
quelqu’un de bien parce que toutes les personnes trans ne sont pas
en désaccord avec toi, tu peux y aller et commencer à dire que de
toute façon, les hommes trans pas d’accord font du « not all
men » et sont des masculinistes. Ça fonctionnera parfaitement,
pas d’inquiétude. Si y en a encore qui osent l’ouvrir, là
l’astuce qui marche à tous les coups c’est de commencer à
utiliser les femmes trans, même si tu n’en as jamais parlé avant
dans quoi que ce soit, qu'il y en a entre 0 et 1 dans ton collectif, et qu'en vrai, ton collectif et toi avez complètement zappé les femmes trans de votre communiqué, et à accuser les hommes trans de
transmsogynie.
SURTOUT, pense bien
que si tu es un peu une star et/ou que tu utilises les bons mots, la
majorité des gens n’écouteront pas ce que disent les gens pas
d’accord et considéreront que tu as de toute façon raison, même
si ce que tu racontes est complètement dénué de sens voire que tu
te comportes en parfait-e transphobe !
Cas pratique : comment inclure et exclure dans le même temps les hommes trans des débats sur la PMA en faisant passer pour des mascus ceux qui disent que tes procédés sont transphobes
Certaines
associations ou collectifs féministes ou LGBT avaient pris le parti
de revendiquer une « PMA pour toutes », d’autres une
« PMA pour tou-te-s ». Le nombre de ces groupes ayant
travaillé et réfléchi en collaboration avec des associations trans
est proche de zéro (non, avoir échangé avec une association qui t'a dit que c'était bien gentil de penser à les contacter la veille de la manif ne compte pas, désolé).
Mon avis là dessus,
qui n’est évidemment pas partagé par toutes les personnes trans,
et qui n’engage que moi, est que les deux options étaient
foireuses, et que rien n’était possible sans un réel travail de
fond avec les associations trans de terrain, et une prise en compte
de toutes les revendications autour de l’accès et de la
conservation de la parentalité chez les personnes trans, et non
juste de l’accès à la PMA pour les hommes trans qui souhaitent
porter un enfant. Évidemment, cette revendication précise, qui est
celle qui a été (toutes proportions gardées, c’est à dire
surtout sur les réseaux sociaux militants, donc en cercle fermé, et
vaguement dans quelques tracts et communiqués à destination de
l’extérieur) la plus mise en avant parmi les revendications autour
des parentalités trans, est une revendication tout à fait légitime.
Le fait que la loi Justice du 21ème siècle (2016) ait (théoriquement) supprimé l’obligation de stérilisation physique
pour accéder à un changement de la mention de sexe à l’état
civil, pour la remplacer lors de la loi sur la PMA, par une
stérilisation sociale (si t’as changé d’état civil, tu ne
pourras plus te servir de ton utérus) est aberrant et transphobe.
Cela n’empêche pas que les revendications autour de la parentalité
trans ne peuvent pas se réduire au remplacement de « toutes »
par « tou-te-s » dans un slogan ou un titre de tract, ni
par une vague ligne sur la possibilité pour les hommes trans de
porter un enfant. Pour résumer, les personnes trans ne sont pas des
personnes cis, et les revendications autour de leur accès à la
parentalité s’inscrit dans un contexte de fortes difficultés
d’accès aux soins, que ce soient ceux liés à une transition ou
aux soins primaires, et de fortes discriminations sociales de manière
plus générale. Il n’est donc pas pertinent du tout de simplement
ajouter « et les hommes trans » à un endroit ou deux
pour rendre « inclusif » un tract sur la PMA (aussi parce que les hommes trans ne sont pas des femmes cis).
Ci-dessus, deux exemples
de banderoles croisées ces derniers mois et semaines et qui m’ont
fait hurler tellement je les trouve absurdes (enfin transphobes,
hein). NON, on ne peut pas « inclure » les hommes trans
dans « pour tou-te-s » pour, deux mots après,
revendiquer une PMA « sans père ». EVIDEMMENT que les
femmes seules et les couples de femmes peuvent revendiquer une PMA
sans père, dans une société sexiste et lesbophobes où la Manif
pour tous prend une place terrible et crache de la merde sur
l’importance pour les enfants d’avoir un papa et une maman. Mais
bon dieu, est-ce que c’est une raison pour faire des choses aussi
stupides que d’inclure les hommes trans pour leur cracher à la
gueule deux mots plus tard en leur enlevant leur statut de père ?
Vous croyez que la Manif pour tous, les médias et la société en
général ne s’en charge pas déjà assez ? Et NON, ce n’est
pas clair que ce sont deux revendications différentes puisqu’il
s’agit du même slogan sur la même banderole, personne ne va
comprendre ça comme ça en dehors de vos petits cercles déconstruits
(tellement déconstruits que vous avez déconstruit au passage notre
statut de père, wouhou, trop subversif !), et vous participez
juste à la transphobie générale. On nous renvoie déjà bien assez
à la gueule, que ce soit dans la société en général ou dans les
espaces militants, qu’on n’est pas vraiment des hommes, et vous
ne pouvez pas décider de votre propre chef, de parler pour les
hommes trans parce que l’inclusion des mecs trans dans le féminisme
c’est dans l’ère du temps, et que comme de toute façon y a peu
de chances pour qu’on ose l’ouvrir de peur de se faire qualifier
de mascus si on dit que votre manière de procéder est transphobe,
vous pouvez bien nous marcher sur la gueule comme vous voulez. Donc à
un moment, un peu de cohérence, soit vous bossez AVEC nous, et vous
construisez des luttes dans lesquelles vous êtes nos alliées et on
est les vôtres, dans des luttes spécifiques qui se rejoignent sur
certains points, soit vous parlez pour vous et vous nous lâchez la
grappe, au lieu de vous accaparer nos luttes n’importe comment.
Vous n’êtes pas nos mamans.
La parentalité trans ne s’arrête pas à la PMA, et une pseudo-inclusion dans les revendications des femmes cis n’est pas suffisante
Une autre chose que
je trouve très gênante dans cette « inclusion » des
hommes trans dans les revendications sur la PMA est
l’invisibilisation de toutes les autres problématiques autour de
la parentalité trans. Il y a toutes sortes de revendications qui
méritent d’être traitées. Je vais lister ici quelques exemple, mais cette liste n’est
évidemment pas exhaustives, je veux juste illustrer le fait que de
se concentrer sur les hommes trans qui souhaitent porter un enfant
n’est pas pertinent.
- Les hommes trans en couple avec une femme cis qui souhaite porter l’enfant ont déjà accès à la PMA en France, si l’état civil de l’homme trans est au masculin. Néanmoins, contrairement aux couples hétéros où l’homme est cis, ces couples ne peuvent pas directement bénéficier d’un suivi par les CECOSiii de leur lieu d’habitation, mais sont d’abord envoyés au CECOS de Paris, qui collabore avec la SOFECTiv, et qui donnent un avis puis renvoient vers les CECOS de région. Le fait que les CECOS de région demandent préalablement l’avis de Paris pour faire entrer ces couples dans une démarche de PMA est évidemment transphobe (t’as beau avoir changé d’état civil, t’es toujours pas un mec cis hein…). La partie « Contrôle de la parentalité » de la page Wikipédia consacrée à la SOFECT indique :
"Les
familles « transparentales » ont accès à
la PMA (c’est
effectif à l'hôpital
Cochin depuis
le milieu des années 1990) pourvu qu’il s’agisse d’un couple
hétérosexuel du point de vue de l’état civil, c’est-à-dire
constitué d’une femme cisgenre et
d’un homme
trans.
L’homme a été nécessairement stérilisé avant le changement
d’état civil, si celui-ci a eu lieu avant 2016. Aucune autre
configuration n’est possible dans l’état actuel (en 2019) du
droit.
Au
sujet de l'accueil des personnes trans dans les CECOS,
l’anthropologue Laurence Hérault a décrit la mise en place à
l’Hôpital Cochin d'un protocole de soin particulier, confié à la
SoFECT, qui discrimine les familles transparentales. Elle
analyse que les réticences initiales des équipes qui ont mis en
place et mettent en œuvre ce protocole renvoient « à la
conception pathologisante des personnes trans » et « à
la mise en doute de leur capacité à s’inscrire de manière
adéquate dans la filiation et la parentalité ». D'après
elle, la démarche et les équipes hospitalières sont les mêmes que
pour le contrôle de l’accès à la chirurgie : il s’agit
ici d’identifier les « vrais bons pères », qui
sont aussi de « bons vrais transsexuels », et ainsi
éviter la « diffusion de la « pathologie » paternelle ».
Elle conclut que « l’intervention d’un psychiatre
devient un élément clé de l’ensemble des projets de vie des
personnes trans, qu’il s’agisse de réaliser une transition, de
changer d’état civil ou bien encore de faire un enfant ».»"v
- Sous certaines conditions, certains CECOS de région permettent aux femmes trans (et certains aux hommes trans, mais pas toujours) de conserver leurs gamètes. Par contre, aucune certitude sur le fait de pouvoir les récupérer et s’en servir ensuite avec leur compagne (avec compagnon si il s’agit d’un homme trans, n'en parlons même pas).
- L’accès à l’adoption pour les personnes trans est compliqué, parce que sans CECvi la plupart des choses sont compliquées dans la vie, mais un CEC en France implique que sur ton acte de naissance intégral (nécessaire pour une adoption), ton prénom et ton genre de naissance apparaissent toujours, les modifications étant portées en marge. Bien évidemment, cela t'oblige à exposer ta transidentité, ce qui bien évidemment complique considérablement l'accès à l'adoption d'un enfant.
- Les femmes trans qui ont un enfant (à l’aide de leurs propres gamètes) avec une femme cis, ne peuvent pas reconnaître l’enfant en tant que mère et doivent adopter l’enfant, alors même qu'elle sont une des mères biologiques.
- Des personnes trans sont aussi parents avant d’entamer une transition. Dans ce cas, plusieurs types de difficultés peuvent se poser. Par exemple, avoir des enfants mineur-e-s peut être un frein à l’accès à une transition, par exemple au sein de la SOFECT, ou encore à l’accès à un CEC. En cas de séparation ou de divorce, la transidentité du parent trans peut être utilisée par l’ex-e conjoint-e pour obtenir la gardevii.
Rien sur nous sans nous
La conclusion de cet
article est plutôt simple : si vous êtes cis, abstenez-vous de
parler pour nous. Vous pouvez être des allié-e-s si vous collaborez
avec nous, et nous laissez la place qui nous revient sur les sujets
qui nous concernent. Sinon, ça s’appelle de l’ingérence et du
paternalisme. N’essayez pas de nous « inclure » dans
vos luttes, nos besoins et nos revendications sont spécifiques, nombreuses, et
méritent bien plus que le simple ajout d’une astérisque au coin
d’un tract.
Notes de fin de texte :
iPMA :
Procréation Médicalement Assistée
iii« Qu’est-ce
qu’un CECOS » sur le site « cecos.org » :
https://www.cecos.org/node/4204
ivLa
page « SOFECT » de Wikipedia explique plutôt bien la
main-mise de la SOFECT sur l’accès aux transitions :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Soci%C3%A9t%C3%A9_fran%C3%A7aise_d%27%C3%A9tudes_et_de_prise_en_charge_de_la_transidentit%C3%A9
vSection
« Contrôle de la parentalité » de la page Wikipedia
traitant de la SOFECT :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Soci%C3%A9t%C3%A9_fran%C3%A7aise_d%27%C3%A9tudes_et_de_prise_en_charge_de_la_transidentit%C3%A9#Contr%C3%B4le_de_la_parentalit%C3%A9
viCEC :
Changement d’état civil. Chez les moldus, on entend par là une
modification de l’état civil. Dans le langage trans, on distingue
le CEC (modification de la mention de sexe à l’état civil) du
changement de prénom (qui est aussi un changement de l’état
civil, en vrai, mais dont la modification est souvent faite de façon
distincte de la modification de la mention de sexe).
viiPar
exemple : M. Le Corre (2015). Lorient : une femme trans se voit
refuser la garde de son enfant en raison de son identité de genre,
Yagg :
http://yagg.com/2015/03/02/lorient-une-femme-trans-se-voit-refuser-la-garde-de-son-enfant-en-raison-de-son-identite-de-genre/
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