J'ai pas écrit ici depuis des lustres, du coup je me dis que je peux partager le texte que j'ai écrit pour le TDoR cette année histoire que ce blog vive un peu.
J’ai vécu plusieurs fois cette année cette scène où je discute avec un-e ami-e trans, qu’on se donne des nouvelles d’autres personnes trans qu’on connaît, et que parfois, quand on arrive à telle ou telle personne, la demi-seconde de silence en trop avant la réponse est déjà une réponse en soi.
C’est compliqué de jongler entre la tristesse, la colère, l’envie de continuer d’essayer de s’organiser pour arrêter le massacre, le désespoir et l’envie d’abandonner devant l’étendue du travail qu’il reste à faire, le besoin de se protéger soi-même, et de la difficulté d’exister sans les luttes collectives. Cette année il y a aussi eu la culpabilité. Parmi les personnes trans décédées à Rennes, majoritairement par suicide, j’en connaissais deux. Sté et Elise n’étaient pas des ami-e-s proches, mais ce sont des personnes que j’ai croisées pendant des années, dans des cadres associatifs mais aussi amicaux, avec qui j’ai partagé des activités, que ce soit des manifs, des permanences, mais aussi des balades, des discussions, des embrouilles, des coups dans des bars, des fêtes, enfin de la vie quoi. Comme pas mal de potes trans avec qui j’ai discuté pendant ces périodes, j’ai culpabilisé, parce que ce n’était un secret pour personne que ces personnes allaient mal, et que les espaces et le soutien communautaire n’a pas suffit, parce qu’on pense ne pas avoir essayé assez de les aider, ou pas de la bonne manière et parce que aider des personnes qui vont très mal, c’est très difficile pour différentes raisons. Alors on culpabilise, on réfléchit, et on se dit : « plus jamais ça ».
Le problème c’est qu’on a un pouvoir limité, en terme de nombre, d’énergies et de santé mentale notamment. Et surtout, je pense que ça devrait être au reste de la société de culpabiliser et pas à nous, les communautés trans. Si les personnes qui nous agressent, nous tuent, nous violent, les médecins qui nous refusent des soins, les psychiatres qui nous maltraitent, les parents qui nous foutent à la rue, les militants qui nous utilisent et nous exotisent, les partenaires qui nous maltraitent, si les personnes responsables de la transphobie se sentaient responsable ne serait-ce qu’à hauteur d’un dixième de la culpabilité qu’on ressent nous, les victimes de la transphobie, je suis convaincu que les lignes pourraient bouger de manière considérable sans qu’on ne s’épuise.
J’aimerais que la psychiatrisation des identités trans et tout l’historique de maltraitances psy qui va avec arrête de nous empêcher de parler de notre santé mentale. Entre les dépressions, les addictions, les traumas liés aux agressions de toutes sortes, l’isolement et la précarité, on est une communauté qui va plutôt mal. Mais on ne doit pas trop en parler, parce que le monde cis a tendance à penser que si on va mal, c’est parce qu’on est trans, et qu’une fois qu’on a transitionné, on va bien. Évidemment que transitionner règle certaines choses, mais ça n’efface pas le fait qu’on est abimé-e-s, et ça ne fait pas non plus miraculeusement disparaître les violences, qui ne disparaissent pas mais se transforment. Et si ça se bouscule au portillon pour nous psychiatriser quand on veut commencer à transitionner, c’est plutôt le désert ensuite quand on a besoin de gérer nos traumas liés à la transphobie. Alors on bricole comme on peut en évitant les violences, on se retrouve entre vieux et vieilles trans et on essaie de se soutenir comme on peut, on essaie de laisser de la place dans nos vies à la joie et à l’amour, on construit des familles, bref, on essaie de vivre et de construire malgré tout des espaces et moments chouettes, où on n’a pas besoin de planquer sous le tapis le fait qu’on en chie malgré tout.
J’ai envie d’en profiter pour dire aux personnes cis : soyez là pour commémorer nos morts, mais intéressez-vous aussi à nos vies. Comprenez et partagez notre colère, nos luttes, et rendez-nous la vie plus facile. Parlez à vos médecins des initiatives communautaires qui existent, et incitez-les à les rejoindre : ces initiatives aident concrètement à rendre nos parcours et nos vies plus faciles et à épargner des traumatismes aux prochaines personnes trans qui transitionneront. Adhérez aux associations trans et manifestez vous quand il y a besoin d’un coup de main, filez des thunes quand vous en avez, partagez les contenus militants qu’on produit. Et partagez aussi nos joies et nos réussites.
Aux camarades trans : j’ai envie qu’on vive et pas qu’on survive. J’ai envie que la peur change de camp, et qu’on trouve ensemble la force de continuer à se battre, mais aussi de partager ensemble autre chose que de la colère et de la tristesse.
À toutes celles et ceux qui ont disparu cette année et les précédentes : on vous garde dans nos cœurs, on n’oubliera pas vos prénoms et vos visages, et on continuera de lutter en votre mémoire.
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