lundi 1 juillet 2013

"On a toutes un utérus", immersion en terrain trans-pas-inclusif

Je rentre il y a peu de la ladyfest d'Angers, qui a été un événement assez trash pour moi. Cette ladyfest était annoncée en non-mixité "femmes, gouines, meuf, FTX, trans-FTM/MTF, intersexe…". En fait bah... non, pas vraiment. Sur la version papier du programme (donc celui auquel les personnes qui participaient avaient accès pendant ces trois jours), les intersexes avaient disparu, et puis pas contre, ce qui était apparu sur cette version papier, c'était "pour femmes", "entre meufs", "dans la vie des femmes", etc... dans quasi chaque intitulé d'atelier, les rendant ainsi inaccessibles aux mecs trans, et ne faisant pas en sorte que les personnes qui ne se définissent pas comme femmes s'y sentent les bienvenues (et vu l'ambiance, je me serais très mal vu aller demander si c'était une omission ou pas). Du coup c'était formidable, j'ai pu participer à un seul atelier, le premier jour, aucun le deuxième, et le troisième j'étais parti parce que j'en avais raz la casquette.
Cet atelier auquel j'ai participé parlait de l'histoire du féminisme en Anjou. La personne qui l'animait, et qui avait, comme tout unE chacunE eu accès à l'intitulé de la non-mixité de cette ladyfest, a parlé du groupe présent et des personnes concernées par les luttes féministes et leur histoire comme de "femmes", uniquement. Elle parlait évidemment de femmes cisgenres, puisqu'elle a dit (j'en reviens toujours pas d'avoir entendu un truc aussi crétin dans un lieu féministe sensé être inclusif des trans et des intersexes) "on a toutes un utérus". 

Avant de venir, je pensais que ça n'allait pas être le festival le plus cool de ma vie, ni que tout le monde serait super inclusiVE, à vrai dire j'y allais plutôt à reculons. Par contre je ne m'attendais pas à me sentir mal à ce point et à me faire mal genrer dans la quasi totalité de mes interactions avec des personnes que je ne connaissais pas auparavant (et ça n'avait vraiment rien à voir avec l'utilisation du féminin pluriel, rien du tout). 

Je suis halluciné d'avoir fait les entrées et que deux personnes soient arrivées et l'une d'elle a balancé un tonitruant "bonjour mesdames" alors qu'on était quatre personnes dont deux mecs trans derrière la table (et elle s'est permis d'être agressive ensuite quand quelqu'une l'a reprise). "Mesdames" quoi...

J'hallucine aussi d'avoir parlé pendant deux heures avec une personne, à qui je parlais de moi au masculin, et puis ironiquement ce jour là, parce que j'en avais marre qu'on fasse comme si les trans n'existaient pas, j'avais un t-shirt avec écrit en gros "TRANS" à l'arrière, à qui je parlais des trucs que je faisais dans des milieux militants, et qui était en mode "je m'intéresse trop aux trucs TPG, et je suis trop trans inclusive, d'ailleurs j'ai organisé un truc en non-mixité inclusive des trans à côté de chez toi, je suis pas comme les autres féministes transphobes", et qui, au bout de deux heures, parle de moi comme... d'une "meuf". Là j'ai eu l'impression de me prendre un bon coup dans le bide, elle a continué à me parler et j'ai rien dit, j'ai attendu qu'elle se casse avant de changer de place. 
J'aurais pu dire "hé coucou, je suis trans, tu me cause au masculin et tu dis jamais que je suis une meuf", mais c'était la vingtième fois de la journée environ qu'on niait mon identité, à chaque fois que j'ai repris quelqu'une la personne m'a ignoré, et juste je voyais plus l'intérêt, j'avais juste envie de me casser le plus loin possible et j'avais ni envie qu'elle m'ignore, ni qu'elle s'excuse.
Y'a aussi eu cette meuf qui parlait de l'inclusion des trans et qui centrait tout ça sur le fait qu'elle n'ait pas envie de se retrouver à proximité de quelqu'un qui avait une bite. Mais qu'elle évoluait sur la question. Ben si t'évolues sur la question, cool, mais alors vient pas résumer l'inclusion des trans dans le féminisme à sa non-comptabilité avec ton essentialisme et à ton obsession du contenu de nos slips.

Bref, ça fait super longtemps que je ne me suis pas retrouvé dans un lieu où on me parle au féminin (et c'est pas faute de passer mon temps à cis-land pourtant).  Y'a juste deux ou trois relous qui ont tenté de me draguer lourdement dans la rue y'a quelques mois avant de se rendre compte que j'étais pas une meuf et de se casser. Là, c'était dans un lieu où mon identité était incluse dans la non-mixité de l'événement.
Ne pas inclure les trans dans ce type d'événement, ça me parait triste (je parle de l'inclusion des mecs trans ici, pas des meufs trans, là c'est surtout dégueulasse). Faire semblant de les inclure ça me parait absurde. 
Déjà, dire "ok les trans, venez", mais ne pas faire de charte de respect des identités des personnes présentes -histoire qu'un moins les personnes en question puissent se sentir de gueuler un coup si ça se passe mal-, de conseils pour ne pas dire de conneries super transphobes dans tes ateliers, pour rendre l'endroit un peu plus safe pour les trans -genre si t'as un doute sur le pronom à employer, demande (oui enfin pour ça faut s'en soucier, de ce que ça peut faire aux gens quand tu leur impose un pronom)-, ça me parait incompatible. Des chartes y'en a qui sont dispo en plus, genre celle du TDB, ou encore celle de la ladyfest de Rennes l'année dernière, je suppose qu'il suffit de la demander aux organisatrICES. Sinon c'est un peu genre, allez, on fait venir des trans, on voit ce que ça donne, et si ilLEs se font emmerder par plein de gens tant pis hein, chacunE sa "sensibilité féministe". Et puis peut être que ça permet de resserrer les liens des cis d'oppresser les trans toutes ensemble hinhinhin...



Ce truc de sensibilité féministe, sérieusement, ça me gave. C'est aussi sorti dans le premier atelier à propos des putes et des meufs voilées. Hé oh, on parle pas de goûts et de couleurs, on parle d'oppressions là aussi. On ne demande pas aux gens de cohabiter pacifiquement en respectant leurs désaccords quand il s'agit en fait d'oppresser des minorités avec la bénédiction générale. Et pitié, pas d'argument genre "oui mais ce sont des personnes très peu nombreuses, la majorité d'entre nous sont des femmes normales cisgenres, alors on va pas se prendre la tête avec leurs revendications" parce que ça ressemble quand même vachement aux homophobes qui parlent du mariage pour touTEs et de la dictature des minorités. 

Bref, me retrouver dans un endroit où on lutte contre le patriarcat parce qu'on est "des femmes", mais où on ne met jamais en cause son implication dans d'autres axes d'oppression (voire où on la nie carrément), ça me donne envie de vomir et de hurler. Petite pensée à la personne qui se sentait tellement concernée par les trans (et particulièrement ce qu'ilLEs avaient dans le slip, enfin surtout les meufs trans il faut dire) mais qui n'arrivait tellement pas à se positionner en tant que dominante qu'elle a balancé un "il n'y a pas de cis ici", ce qui m'a bien fait rire, donc j'ai lancé "moi c'est pas tellement l'impression que ça me donne" (j'étais pompette, c'était plus simple), donc elle s'est reprise "d'hommes cis", d'un air entendu (y'a que les mecs cis qui sont dominants c'est bien connu).

Pour finir sur du positif, après ça j'ai relativisé ce que j'ai ressenti niveau cis-centrisme ces derniers mois dans les cercles militants que je fréquent/ais, parce qu'à côté de ce concentré de transphobie plutôt bien assumée (faut leur laisser ça à ces gens) c'était franchement du pipi de chat, au moins on me genre bien, quand je parle de transphobie on m'écoute, et je ne me sens pas mal et flippé en permanence, je sais que je peux compter sur des gens, etc...
Mais aussi, j'ai rencontré quelques personnes avec qui j'ai été vraiment content de discuter, j'ai revu des personnes cool, j'ai vu un bout du concert de Van Van je me suis fait tatouer et j'ai fabriqué un bol en argile (entre les moments où j'étais en train de gratter mes 25 piqures de moustique et de stresser à cause de mes règles, quand même).